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20/01/2013

Sacré Carlos !

L'association RACINE vient d'être placée en liquidation judiciaire, sans que cela n'ait l'air de beaucoup émouvoir la DGEFP, signe que le Ministère du Travail estime que l'association a fait son temps où, ce qui revient au même, qu'il est temps de la rappeler à la raison financière. RACINE est une association dont l'objet est la promotion et la gestion de certains programmes européens pour la formation. Il faudra dorénavant faire sans. Et cela me rappelle, au milieu des années 90, que RACINE, structure d'assistance technique du FSE pour la France, m'avait permis de monter un partenariat entre une association de formation de non ou mal voyants de Toulouse avec des structures homologues en Espagne et au Portugal.

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A Lisbonne, le directeur de la structure partenaire, Carlos, nous attendait à l'aéroport. Il était aveugle de naissance. Il avait deux adjoints qui n'y voyaient pas plus que lui. Par chance, le chauffeur était un jeune tout à fait voyant. Par malchance, c'était un fou du volant qui conduisait dans Lisbonne comme un pilote de rallye lors de la dernière spéciale. Nous avons ainsi avalé les plus petites rues de Lisbonne, et nous n'étions pas là depuis plus d'une heure que nous avions l'impression de jouer dans un film. Enfin arriva le but, en haut de l'Alfama, la voiture stoppa et Carlos nous demanda de le suivre. Lorsque nous fûmes en position sur le Belvédère, l'aveugle de naissance nous dit : "Vous avez ici, sous vos yeux, la plus belle vue de Lisbonne. J'ai voulu commencer par ça pour que nous ne ratiez pas ce qui est une des plus douces visions du monde".

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Tous autant que nous étions, somme restés estomaqués par cet aveugle, Carlos,  au yeux définitivement clos qui souriait en nous montrant du bras l'imprenable panorama qui s'offrait à nous. Ensuite, nous sommes allés manger des poissons grillés, toujours face à la mer. Car pour Carlos, il était important de voir tout ce qui lui paraissait important de nous montrer. Après avoir vu la ville blanche depuis les hauteurs  avec le Tage comme ligne d'horizon, notre regard ne pouvait qu'être préparé à distinguer les difficultés avec lesquelles chacun des aveugles ou mal-voyants membres de l'association portugaise qui nous accueillait, tentait de trouver sa place dans la société post-moderne. Tout cela, c'est RACINE qui l'a rendu possible. Dorénavant, c'est véritablement du passé et les occasions de découvrir d'autres Carlos seront plus rares.

26/07/2010

Du temps réel

Au bord du Tage, l'ancienne usine ne produit plus d'électricité. Elle abrite un lieu d'expositions, celle consacrée à la fée électricité étant permanente. Elle s'accompagnait cet été d'une exposition consacrée au peuple (Povo, Povo) sur laquelle nous reviendrons très prochainement.

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Musée de l'électricité - Lisbonne
A l'intérieur, les machines sont huilées, graissées, patinées, prêtes à lancer leur grand cri d'acier, de feu, de vapeur, d'huile et de chair également car ces machines là  consomment aussi de la matière humaine. Elles viennent de Londres et témoignent de la révolution industrielle issue des machines à vapeur. Pour la première fois, la machine n'était pas un outil travaillant au rythme de l'homme et augmentant sa puissance mais au contraire une impératrice dictant son rythme à l'homme. De ce temps, le temps du travail n'a jamais plus été le même.
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Machine à vapeur Londonienne
Avant la Grande roue de la révolution russe, selon la formule de Cendrars, il y aura la grande roue des machines à vapeur. Toutes deux broieront le temps et les hommes en imposant des rythmes qui leurs sont propres et dans lesquels l'homme n'a plus tout à fait sa place. La science fiction défend l'idée que la vitesse finit par abolir le temps, les machines l'ont au contraire rendu plus présent à l'homme, l'y assujetissant comme le joug maintient la tête de l'animal inclinée vers le sol.
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Turbine - Musée de l'électricité - Lisbonne
Et la machine fit que le temps devint une abstraction. L'industrie se mit à raisonner en millièmes d'heures et des ingénieurs passent des heures devant leur écran, nouvelle version de la planche à dessin, pour gagner quelques un de ces millièmes. Que cela se traduise par la suppression au final de postes de travail est également devenu une abstraction. Et comme toujours lorsqu'une chose disparaît, on fait surgir le mot censé la remplacer. Est ainsi apparu, avec la folle vitesse de circulation de l'information, le concept de "temps réel". Il s'agit bien évidemment d'immédiateté et non de réalité, mais la notion de temps est devenu si abstraite, et si insupportablement abstraite, qu'il fallait la faire ressurgir. Allons y donc pour le temps réel. Mais si l'on veut redonner du sens à ce terme, que serait donc un temps réel ?
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Place du commerce - Lisbonne
Peut être celui où l'on prend le temps, sur une place, de guetter l'improbable qui ne manque pas de survenir sous la forme d'une jeune inconnue qui éprouve le temps en figeant quelques instants de grâce.
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Belle démonstration que le temps horizontal et le temps vertical n'ont ni la même épaisseur ni la même intensité. Mais qu'il est bon de goûter aux deux. Comme il est bon de se souvenir que l'information peut aussi circuler par le papier, que la lecture du journal le matin devrait être la prière quotidienne selon Hegel et que le poisson peut toujours attendre. Et tout à coup, le temps devient vraiment réel.
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