29/01/2011
Chronique du week-end : l'énigme des femmes d'Ingres
Poursuite des chroniques du week-end en compagnie d'Ingres. Il aurait pu être question, à propos d'Ingres, de la manière dont on devient innovant en allant au bout du clacissisme, autre manière de montrer que c'est par la maîtrise de la technique que l'on parvient à la dépasser ou encore à gagner en liberté (pour peu que l'on en ait le souci, tout de même). Mais l'énigme d'Ingres n'est pas là. Elle est évidemment dans les femmes d'Ingres, pour qui la femme n'existe pas. Mais il y a des femmes. Et en chacune d'elles, une irréductible singularité et des permanences universelles. Lorsque l'on peint les femmes comme J.A.D. Ingres, on sait cela. Ce qui fit le plus rire Ingres, longtemps après sa mort, c'est la frénésie comptable des critiques et commentateurs qui s'échinèrent sur les vertèbres de l'Odalisque. Et l'air pénétré des petits malins tout empreints d'histoire causale et linéaire qui virent en lui le précurseur de Picasso. En réalité, Ingres se fout de tout cela. Il dessine, il calque, il découpe, il ajuste, il organise, il démembre, il reconstruit, il imagine, il invente, il voit. Remarquez que souvent Ingres allonge, étend, donne de l'ampleur, étire et multiplie. Jamais il ne réduit, ne rétrécit, ne diminue, ne coupe ou ne se livre à l'ablation. Ingres est amoureux de la peinture, des femmes, des formes, de la vie, des couleurs, de l'harmonie, du beau, de lui-même aussi car il applique à la lettre le précepte "aime ton prochain, comme toi même". Le modèle est son prochain. En bon amoureux, l'excès est un minimum. Pour Ingres, jamais trop.
J.A.D Ingres - Grande Odalisque - Musée du Louvre
D'ailleurs il n'y a pas une mais des odalisques. Et lorsque Ingres peint chacune de ses odalisques, il peint plusieurs femmes là où tous s'obstinent à n'en vouloir qu'une seule. Voici le long bras d'une maîtresse aux gestes d'arrangeuse de fleurs, voici la croupe forte d'une fille du Nord de la Garonne, voici le dos musclé d'une femme du Sud dont le corps vit sous le soleil, découvrez le sein de la jeune fille pubère, fixez le visage de celle que dévisage le peintre qu'elle fixe, entendez le croisement de jambes fait pour agacer vos nerfs érotisés, prenez plaisir à suivre la courbe des pieds abandonnés au repos mais dont la cambrure traduit la fausse lascivité. Toutes ces femmes sont là devant vous. Epargnez nous l'anthropomorphie laborieuse du bras trop long, du dos inhumain, des hanches impossibles et les pénibles observations qui à grand coup de rationnalité voudraient dissimuler le trouble érotique qui est le votre. Cette peinture est un collage, vous le savez à présent, plus rien n'entrave donc votre plaisir de la regarder encore et de la regarder toujours. N'y cherchez pas la femme et prenez le temps d'y découvrir toutes les femmes et pour ce faire n'hésitez ni à tirer le rideau ni à lever les draps.
00:00 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ingres, peinture, odalisque, louvre, musée, énigme, chronique, week-end
Commentaires
Sur le tableau, on ne voit pas d'ombre portée du corps, cela renforce la sensation que c'est du corps lui-même que vient la lumière. Sensation renforcée encore par le contraste créé par l'arrière-plan sombre. Qu'importe qu'il y ait 3 vertèbres de plus à la colonne vertébrale, que les bras soient trop longs... Ce que veut Ingres, ce n'est pas faire donner une description du corps, ou de nous le monter comme objet de péché, mais comme une invatation au plaisir. Ingres affiche sa liberté par rapport aux lois de l'anatomie et de la proportion des corps. "Pour affirmer le caractère, une certaine exagération est permise, nécessaire même quelque fois mais surtout là où il s'agit de dégager et de faire saillir un élément du Beau". Remarquez la chaleur dégagée par le corps, sa couleur chaude, son ondulation lascive. Le musicien qu'était aussi Ingres, nous montre la montée chromatique du plaisir, des pieds dont on remarque la blancheur froide, au visage marqué du rouge du plaisir. En réponse aux critiques de ses détracteurs, Ingres dit “Jamais un corps de femme n’est trop long“. Il prône l’exagération de la ligne, ce qu’il appelle “corriger la nature par elle-même“. A ses élèves, il conseille : “insistez sur les traits dominants du modèles …poussez-les s’il le faut jusqu’à la caricature. Je dis caricature afin de mieux faire sentir l’importance d’un principe si vrai
Écrit par : ddp | 29/01/2011
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