18/02/2010
La vraie vie
"Vous êtes juriste ?" la question est souvent posée avec une pointe de méfiance ou de défiance. Méfiance car le juriste est souvent perçu comme enfermé dans ses livres, textes, bibliothèques. Défiance car le juriste énerve en ayant à la fois réponse à tout, car les mots peuvent tout et que le droit c'est de la littérature, sans pour autant avoir de certitudes car si le raisonnement juridique peut être rigoureux, il n'est jamais une science exacte. Le questionneur tient souvent le juriste pour un théoricien et le droit pour une abstraction. Ailleurs est la vraie vie. Bien souvent pour dirigeants, managers ou salariés, le droit n'a qu'un lointain rapport avec la réalité. Mais reconnaissons que pour le juriste, la réalité n'est parfois qu'une projection de présupposés. Par exemple, en droit du travail, celui qu'il ne saurait y avoir de véritable négociation entre l'employeur et le salarié et que les volontés par définition ne sont pas égales. Un coup d'oeil sur les 170 000 ruptures conventionnelles peut être ?
Si l'on voulait répondre sur les livres et bibliothèques on pourrait convoquer Cendrars, qui avait calculé que toute une vie ne suffirait pas pour lire tous les livres des grandes bibliothèques dans lesquelles il passait ses journées entre deux voyages, ou encore Gérard de Nerval, arrivant à Alexandrie, s'enfermant dans sa chambre d'hôtel, se plongeant dans la lecture et écrivant : "Le vrai Orient est là, dans les livres". Qu'est-ce que la vraie vie ? peut être cette phrase de Victor Hugo : "Ruth songeait et Booz dormait".
00:05 Publié dans TABLEAUX PARLANT | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : bazille, ruth et booz, droit, droit du travail, juriste, juridique
Commentaires
Brûlons le Code du travail et les juristes qui l’appliquent.
Après tout l’article 1101 du Code civil est largement suffisant ! « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose ».
C’est vrai quoi ! On est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son contractant, de débattre des termes du contrat, de ne pas respecter des formes particulières pour contracter…
Liberté de négocier je vous dis ! Et ça marche ! La preuve 170 000 ruptures conventionnelles ! Vive l’entreprise libre…et le salarié affranchi !
Le contrat de travail, un contrat d’adhésion ? Vous plaisantez ? Dans la « vraie vie » de Willems, vous être libre de choisir votre salaire, vos horaires, vos conditions de travail, votre départ en formation…et si votre contractant (l’entreprise) n’est pas d’accord, virez le ! De toute façon, vous en avez pas besoin pour vivre…vous avez si bien négocié vos contrats de crédit, d’assurance, de téléphone, d’électricité…et oui tout se négocie dans la « vrai vie » !
Ah la « vraie vie » !…si seulement nos chers juristes pouvait la connaître ! Heureusement que nos « super consultants » sont là….et à travers leur « branlette intellectuelle quotidienne », communément appelé « blog », ils nous rappellent chaque jour ce qu’est la « vraie vie »… un truc qui ressemble à un slogan publicitaire de consultant « la vraie vie c’est gagnant-gagnant ! ».
Écrit par : Un avocat qui accepte encore l'aide juridictionnelle | 18/02/2010
Cher Monsieur,
Je crains que vous ne fassiez erreur. La "branlette" est un plaisir solitaire alors qu'un blog, par définition, est un plaisir partagé, même si pas par vous.
Cordialement
Écrit par : jpw | 18/02/2010
Vu le nombre de commentaires, ça ressemble plus à une "branlette" qu'à un blog...
Mais je vous en prie, continuez à vous faire plaisir !
Je ne vous dérangerai plus...promis!
En revanche si vous souhaitez voir à quoi ressemble un plaisir partagé, je vous invite à aller sur le blog de mon confrère www.maitre-eolas.fr
Et n'oubliez pas "la vraie vie, c'est gagnant-gagnant!"
J'adore ce slogan de consultant !
Écrit par : Un avocat qui accepte encore l'aide juridictionnelle | 19/02/2010
Bonjour,
C'est bizarre...je me suis un peu senti "visé" par cet article, d'autant qu'il vient à la suite d'une polémique que nous avons menée ensemble sur un autre site, polémique qui pouvait largement s'expliquer par des divergences d'approches fondamentales sur le droit du travail lui-même, en particulier sur la part qu'il convenait d'accorder à la négociation individuelle.
Écrit par : Bruno Callens (NOVATEM) | 19/02/2010
Il y a d'autant moins lieu de vous sentir visé que l'objet de ce blog n'est pas d'ouvrir des polémiques personnelles, même si certains commentaires peuvent y inciter ;-) mais de fournir l'occasion de réflexions plus générales. Ce qui est le cas pour la question de la négociation indidivuelle en droit du travail dont vous pouvez mesurer les effets qu'elle produit !
Cordialement
Écrit par : jpw | 19/02/2010
Cher Monsieur l'avocat,
Vous ne dérangez pas, repassez quand vous voulez. Et si vous repassez, il n'est même pas nécessaire que vous preniez la peine de commenter mes propos et non la caricature réductrice et un peu (!) méprisante que vous en faites. Mais peut être est-ce une forme sophistiquée d'onanisme qui m'échappe que de se commenter soi même sous couvert de dialoguer avec autrui. En tout cas libre à vous et au plaisir !
Écrit par : jpw | 19/02/2010
Bonjour,
Je peux me tromper mais il y a une phrase qui a du agacer votre interlocuteur : celle-ci :
"reconnaissons que pour le juriste, la réalité n'est parfois qu'une projection de présupposés. Par exemple, en droit du travail, celui qu'il ne saurait y avoir de véritable négociation entre l'employeur et le salarié et que les volontés par définition ne sont pas égales."
L'égalité contractuelle est un leurre...Il faut être sérieux. Dans ce cadre, il est parfaitement légitime de penser qu'il faut réduire le champ de la négociation individuelle à sa plus simple expression (la négociation collective, c'est autre chose) car il s'agit tout simplement de protéger la partie la plus faible.
Écrit par : Bruno Callens (NOVATEM) | 19/02/2010
Je ne pense pas que vous vous trompiez et je l'avais bien compris ainsi, mais vous comprendrez que je préfère en débattre avec vous. Le droit du travail s'est construit sur la protection du salarié. Pour une grande partie, il est encore constitué ainsi. Mais beaucoup de règles sont devenus davantage des règles techniques de gestion plutôt que des règles de protection. Gérard Lyon-Caen a écrit un remarquable ouvrage sur le Droit du travail technique réversible qui rend compte de cela, et Jacques Barthélemy a également écrit un ouvrage de référence sur le sujet. Je n'ai jamais posé en principe que tout devait se négocier et que le code du travail devait être brûlé, je pense qu'il est inutile de revenir sur l'inanité de ces anathèmes. Je dis simplement qu'on ne peut conserver aujourd'hui cette approche générale, mécaniste et systématique selon laquelle toute négociation individuelle est biaisée parce que par nature les parties ne sont pas égales. D'une part cela ne correspond pas à ce que l'on peut constater (dans la vrai vie !) et d'autre part cela revient à nier l'individu qui du fait de sa qualité de salarié serait immanquablement voué à n'avoir qu'une volonté soumise. Tel n'est pas le cas sauf à considérer comme Proudhon que le salariat c'est l'esclavage. Mais si tel est le cas, ce n'est pas un droit du travail qu'il nous faut mais une abolition totale et immédiate du rapport salarial. Bref, si l'on veut véritablement l'autonomisation et la promotion de l'individu, il faut lui reconnaître une vraie volonté et certes tenir compte du cadre dans lequel elle s'exerce mais surtout ne pas la nier ou la réduire à sa plus simple expression. Ce n'est pas tant l'article 1101 du Code civil qui importe que l'article 1134 selon lequel les conventions légales formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Cet article ne prône pas le tout contrat, puisqu'il enferme le contrat dans l'espace que lui reconnaît la loi, mais il lui donne une dignité égale à celle de la loi. C'est davantage sur des articulations que sur des oppositions qu'il faut travailler.
Écrit par : jpw | 19/02/2010
Monsieur le "Super-consultant"...
Pour impressionner votre interlocuteur, vous avez cité Gérard Lyon-Caen...mais l'avez-vous réellement lu ?
Petit rappel :
Homme de conviction, Gérard Lyon-Caen n'a cessé d'œuvrer pour la protection de la partie la plus faible. Fidèle à lui-même, refusant de lâcher la proie pour l'ombre, il s'est toujours opposé avec vigueur à l'idée, régulièrement avancée depuis les années 80, d'une déréglementation du droit du travail (“La bataille truquée de la flexibilité”, Dr. soc. 1985, 801).
Son souci d'une protection juste des travailleurs va le conduire à défendre tout d'abord l'idée d'un statut protecteur pour les représentants du personnel (“La réintégration
des représentants du personnel irrégulièrement licenciés”,
en collaboration avec H. Sinay, JCP 1970, n°2335). Dès lors que le droit de résiliation unilatérale a été retiré à l'employeur, la réintégration du salarié protégé s'impose puisque son contrat de travail n'a jamais pris fin (note sous Cass., soc., 14 juin 1972, JCP 1972, II, 17275).
La défense de l'action syndicale a été également au cœur des préoccupations de l'homme, celui-ci n'hésitant pas à s'interroger sur les raisons d'un certain déclin syndical (“La légitimité de l'action syndicale”, Dr. Ouv. 1988, 47).
Son combat va aussi s’étendre à la protection du salarié ordinaire qui doit bénéficier, comme tous les citoyens, de droits fondamentaux. A la demande du Ministre du travail, il rédigera un célèbre rapport sur les libertés publiques et l'emploi, étude qui sera à l'origine de la loi du 31 décembre 1992 relative à l'emploi, au travail à temps partiel et à l'assurance chômage (Rapport sur les libertés publiques et l'emploi, La documentation française, 1992). Ce nouveau texte est notamment à l'origine de l'article L 120-2 du code du travail qui prévoit que “Nul ne peut apporter au droit des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché”. Avec cette nouvelle disposition, la Cour de cassation disposera désormais d'un instrument juridique efficace pour protéger les droits de l'homme dans l'entreprise.
Le rapport de Gérard Lyon-Caen montre aussi sa capacité à se plonger dans l'avenir. Dénonçant la surveillance des
hommes au travail par les nouvelles technologies, il s'attache à démontrer que la subordination est plus que jamais
d'actualité. Même si le salarié n'est plus forcément sous les ordres de quelqu'un, “il est surveillé par la machine, à la
limite par lui-même, par tous et par personne” (Rapport, op. cit., n°150).
Gérard Lyon-Caen reste une référence pour l'avenir, sa pensée continuera pendant longtemps à imprégner la communauté des juristes...
Et contredire notre super-consultant!
Écrit par : KSM | 20/02/2010
Cher Monsieur,
Je ferai bon usage de vos leçons et me permet à mon tour deux conseils :
1) Le premier est de lire vraiment ce blog plutôt que d'y plaquer vos présupposés (un consultant est forcément un libéral qui veut dérèglementer). Il y a plus de 450 chroniques et il serait peut être possible de ne pas me réduire à la caricature de vos fantasmes sur la lutte du bien et du mal et du fort et du faible. Le titre "La vraie vie" renvoyait simplement à une réalité un peu plus contrasté que ces dichotomies binaires qui vous tiennent lieu de pensée
2) Le deuxième est de lire vraiment le livre de Lyon-Caen que je cite
Quant à vous conseiller de débattre sans céder à l'usage du mépris pour votre interlocuteur, cela me semble superflu
Écrit par : jpw | 20/02/2010
Petit complément :
Sur le droit aussi la réalité est un peu plus contrastée. L'article L. 120-2 en ce qu'il pose le principe de dérogations possibles aux libertés individuelles pourrait également être tenu pour liberticide, ce qu'une partie de la doctrine fait d'ailleurs. La même ambigüité que celle figurant dans la loi du 4 août 1982 sur le règlement intérieur et qui se proposait, comme Lyon-Caen, non pas la promotion des droits de l'homme, mais plus simplement la promotion des droits du citoyen dans l'entreprise conçu comme un espace de la collectivité dans laquelle nous vivons. Vous trouverez en cherchant bien, si tel est votre désir, une chronique qui explique comment en 30 ans on est passé du salarié citoyen à l'entreprise citoyenne au détriment du premier. Mais il ne faudrait pas que cela perturbe l'idée préétabli que vous avez des consultants en général et de ce blog en particulier
Écrit par : jpw | 20/02/2010
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