01/09/2013
Looping
Personne ne l'a vu arriver. Personne ne s'est rendu compte qu'il a commencé à chanter, parce qu'il a chanté ces airs qui traînent toujours dans un coin de nos têtes. Alors peut être qu'il chantait ce que chacun fredonnait intérieurement, ce qui le rendait absolument invisible.
Il a chanté longtemps en regardant un par un ceux qui ne le regardaient pas. Il a chanté pour chacun. Il a aussi chanté pour le carrefour, la rue, les boutiques, la dame qui passait l'aspirateur à l'étage au dessus, mais il ne semblait pas chanter pour lui-même. Il n'a rien demandé, n'a pas fait la manche, n'a sollicité ni sourire, ni applaudissements, ni quelque autre forme de remerciement. Personne ne s'est aperçu que, tout d'un coup, il était parti.
Ils ont déballé tout leur matériel, comme si le caddy était un chapeau sans fond duquel on peut extraire sans fin toutes sortes d'objets qu'il fallût bien inventer un jour, mais on ne sait plus trop pourquoi. Lorsque tout fût déballé, la vieille prit une chaise, se posa très exactement face à l'axe du soleil qui déclinait, et elle s'endormit. Tous ceux qui traversaient la place n'étaient qu'un instant du rêve de la vieille dame au soleil.
D'un côté de la ficelle, il y a 22 camions dont l'ordre dans la file procède d'un indéchiffrable calcul qui associe les caractéristiques de chaque camion, la longueur de l'attelage, la place relative de chacun, le trajet à parcourir, la configuration astrale et l'humeur de Looping.
Looping c'est l'homme au gilet de signalisation qui tire ses camions dans le 15ème arrondissement. Looping, ce n'est jamais que la vie de chacun qui tourne en boucle à l'intérieur du monde qu'il s'est créé.
11:57 Publié dans CHRONIQUE DE WEEK-END | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : looping, rue, chanson, camions, vie, monde, boucle