29/02/2008
Interview AEF - Accord du 11 janvier 2008
L'accord sur la modernisation du marché du travail "pose des bases pour la construction d'un statut social de l'actif" (Jean-Pierre Willems)
Le marché du travail est-il vraiment modernisé par l'accord du 11 janvier 2008? "Les négociateurs avaient fixé la barre haut: poser les fondements d'un meilleur fonctionnement du marché du travail autour d'une flexi-sécurité à la française. En clair, des ruptures de contrat de travail facilitées contre de meilleures garanties sociales pour accompagner la mobilité du salarié", analyse Jean-Pierre Willems, consultant en droit social et en ressources humaines. "L'objectif est-il atteint? Au vu du contenu de l'accord, on peut acter que le premier pas est fait mais qu'il reste encore du chemin." Jean-Pierre Willems répond aux questions de L'AEF.
L'AEF. L'accord sur la modernisation du marché du travail est-il un accord "cadre" qui pose des principes et renvoie à des négociations, ou bien contient-il des dispositions véritablement applicables?
Jean-Pierre Willems. La quasi-totalité des dispositions de l'accord renvoient soit aux pouvoirs publics, soit aux négociations interprofessionnelles à venir (assurance-chômage, formation professionnelle…), soit aux négociations de branche. Mais il serait restrictif de considérer qu'il ne s'agit que de pétitions de principes dénuées de portée propre. Le texte a valeur d'accord, il fixe des objectifs à atteindre, il prend des engagements et permet de donner le sens des réformes à venir. Si l'on voulait une référence juridique, on pourrait dire qu'il s'agit d'un préambule qui va structurer toute une série de textes. Et l'on sait la portée que les juges confèrent aux préambules, à commencer par celui de la Constitution.
L'AEF. Est-il possible d'illustrer cette portée pratique du texte?
Jean-Pierre Willems. À deux reprises, le texte insiste sur le rôle déterminant de l'organisation du travail en matière de développement des compétences et de qualification des salariés (article 6) et d'emploi des seniors (article 9). On pourrait voir là, couplé à la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur l'obligation pour l'entreprise de maintenir l'employabilité des salariés (Cass. Soc., 23 octobre 2007), un risque juridique certain pour les entreprises qui font le choix de créer des postes de travail monotâches ou pauvres en contenu. Cette affirmation pourrait signer l'acte de décès d'une certaine forme de taylorisation.
L'AEF. Les possibilités de rupture du contrat de travail sont-elles véritablement assouplies par l'accord?
Jean-Pierre Willems. Trois dispositions concernent l'assouplissement des ruptures: les durées des périodes d'essai, la rupture conventionnelle et le CDD (contrat à durée déterminée) de projet. Concernant les périodes d'essai, il sera nécessaire de renégocier les conventions collectives (plus de 300!) qui souvent prévoient des périodes plus courtes. L'effet me paraît donc limité. Concernant la rupture conventionnelle, elle existe déjà et constitue le mode de rupture majoritaire des CDD, notamment des contrats en alternance. La nouveauté est qu'elle sera assortie d'indemnités et ouvrira droit à l'assurance-chômage. Elle devrait donc réduire, c'est l'objectif, les "faux licenciements transactionnels". Il s'agit essentiellement d'une mise en conformité du droit avec les faits.
Quant au CDD de projet, il ne s'agit que d'un motif supplémentaire de recours et il faut souligner que les CDD de longue durée constituent des contrats qui ne placent pas le salarié dans une situation défavorable (on pourrait prendre l'exemple des sportifs professionnels), le licenciement économique étant impossible, ainsi que tout autre licenciement, sauf faute grave. Et en cas de rupture injustifiée, le salarié peut prétendre à l'intégralité des salaires en jeu, soit jusqu'à trois ans. Il n'est pas certain, donc, que ce contrat limite les risques juridiques pour les entreprises.
Au chapitre des ruptures, notons tout de même que l'accord met un point final à tout projet de contrat type CNE (contrat nouvelles embauches) ou CPE (contrat premières embauches) en rappelant l'exigence de la convention de l'OIT (Organisation internationale du travail), à savoir que tout licenciement soit justifié.
L'AEF. Qu'en est-il des contreparties à ces assouplissements sur les ruptures?
Jean-Pierre Willems. L'innovation majeure du texte, celle qui répond le mieux à l'objectif de sécurisation des parcours professionnels, est la portabilité. Poser le principe que des droits issus du contrat de travail peuvent survivre au contrat et continuer à bénéficier au salarié constitue une avancée majeure, comme celle de considérer que les moyens de formation des salariés et des demandeurs d'emploi doivent être articulés et non juxtaposés.
L'AEF. Comment se traduit en pratique la portabilité?
Jean-Pierre Willems. Le modèle est manifestement ce qui a été négocié dans la branche du travail temporaire: la possibilité d'avoir une prévoyance entre deux missions et de pouvoir bénéficier d'un accès à la formation entre deux missions pour les travailleurs intérimaires. La prolongation de la prévoyance au-delà du contrat de travail, couplée à la possibilité de bénéficier du DIF (droit individuel à la formation) au-delà du contrat, créé pour les salariés un statut social qui n'est plus enfermé dans les bornes du contrat. À lui seul, ce principe justifiait, me semble-t-il, la signature du texte par les organisations syndicales.
L'AEF. Pour le DIF, est-ce le passage d'un droit attaché au contrat de travail à un droit personnel?
Jean-Pierre Willems. Non, pas tout à fait. Le DIF demeure acquis dans le cadre du contrat, c'est son utilisation qui est élargie. Il y aura passage à un droit personnel quand toute personne en activité, quel que soit son statut, pourra capitaliser 20 heures de formation par an. Par contre, il s'agit pour les entreprises d'un début de traduction financière des crédits d'heure acquis au titre du DIF. Tout salarié ayant vocation à quitter l'entreprise un jour, il va devenir nécessaire de provisionner les heures capitalisées au titre du DIF. Voilà qui devrait sérieusement "booster" la mise en oeuvre du DIF, même si le risque financier demeure limité (0,5% de la masse salariale pour 20 heures par an, proratisé en fonction du turnover).
L'AEF. Quel bilan final tirer de cet accord?
Jean-Pierre Willems. Il s'agit d'un vrai accord dans la mesure où chacune des parties peut considérer qu'elle a fait des concessions. S'il n'est pas "révolutionnaire" et ne réglera sans doute pas à lui seul la question de la flexi-sécurité, il pose des bases saines pour la construction d'un statut social de l'actif qui ne soit pas exclusivement lié à l'existence d'un contrat de travail.
08:21 Publié dans DANS LA PRESSE | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.