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29/02/2008

Du salarié citoyen au ministre manager

En 1982, les lois Auroux se donnaient pour objectif de faire des salariés des citoyens dans l’entreprise. Par divers moyens (droit d’expression directe, compétences des représentants du personnel, limitation du pouvoir patronal par le règlement intérieur…) la loi se fixait comme objectif de faire du salarié un acteur adulte dans l’entreprise et d’introduire des mécanismes de démocratie participative au cœur de l’entreprise.

A la fin des années 80, un premier glissement sémantique est intervenu : on ne parlait plus de salarié citoyen mais d’entreprise citoyenne. Oubliée la place du salarié dans l’entreprise et le fonctionnement du pouvoir en interne, il s’agissait de promouvoir les comportements citoyens des entreprises, promotion sans doute directement proportionnelle à l’affaiblissement de ce rôle citoyen que beaucoup d’entreprises ont joué implicitement pendant les trente glorieuses.

Au cours des années 90, est apparue un étrange vocable : l’Entreprise France. La notion de dirigeant s’est substituée peu à peu à celle de responsable politique, la compétence s’est affichée comme la qualité première des hommes et femmes politiques, supplantant l’idéologie chez nombre de concitoyens.

Aujourd’hui une nouvelle étape est franchie : le ministre doit non seulement être un manager compétent de l’entreprise France mais il faut lui appliquer les méthodes manageriales quant à l’évaluation de son action. Que du bon sens : il faut rendre des comptes, être efficace, produire une bonne gestion.

Ce glissement progressif du déplaisir en politique correspond  très précisément aux objectifs du néo-libéralisme tel que dépeint par François Denord (Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Demopolis, 2007 ; également Christian Laval, L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme. Gallimard 2007) : non pas glorifier le marché libre et la concurrence absolue comme on l’entend souvent, mais une universalisation du raisonnement économique avec pour référence normative le sujet rationnel calculateur. Toute réalité institutionnelle et tous les rapports sociaux sont ordonnés selon les principes du calcul économique de type marchand. L’homo économicus se substitue à l’homme social, à l’homme démocratique et à l’homme politique. Le citoyen s’efface devant le consommateur, toute action publique ou privée s’évalue en terme de coûts-bénéfices. En politique, le citoyen vote pour « en avoir pour son argent ». Il regarde « l’offre » politique et fait son choix après avoir mesuré quel retour sur investissement, de son vote, il peut obtenir.

Dans ce contexte, l’évaluation des ministres n’est évidemment pas une bonne mesure. Pour trois raisons :

-          En démocratie, l’évaluation des élus se fait par le vote et non par des agences de notation. Mandataires du peuple souverain, les élus rendent compte à leur mandat qui leur renouvellent, ou non, leur confiance ;

-          Il ne s’agit pas d’évaluer des personnes mais des politiques. L’évaluation des politiques publiques est une exigence d’autant plus forte qu’il s’agit de l’emploi des ressources publiques. Evaluer l’efficacité des mesures adoptées, des lois votées, de l’action administrative non seulement n’est pas contestable mais est fortement nécessaire ;

-          L’action politique doit être distinguée de l’action manageriale ou de l’action gestionnaire. Elle n’est pas de même nature, n’a pas les mêmes finalités et n’a pas les mêmes fondements. Elle ne peut donc être soumise au même crible de l’évaluation que l’action économique à laquelle elle ne saurait être réduite.

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