08/08/2013
Dans la valise
Une valise n'est jamais prête si on ne l'a pas saturée de quelques livres, qui contribuent à la couleur du voyage. On est ce que l'on mange, ce que l'on voit, ce que l'on aime ou déteste, ce que l'on lit. Cette affirmation est plus vraie ici, de l'autre côté de l'hémisphère, qu'en France. Dans la littérature japonaise, l'état d'esprit des protagonistes n'est pas dépeint par de longues explications psychologiques voire psychanalytiques dans lesquelles on ressasse comme un vieux chewing-gum le roman social et familial, il en est plus sobrement rendu compte par l'apparence que prend le monde, la perception de l'environnement. Et l'on ne sait plus très bien qui, de la perception et de l'environnement, fait l'oeuf ou fait la poule. C'est ainsi que les personnages d'Edogawa Ranpo créent des mondes fabuleux, abolissant toute barrière entre le fantasme et la réalité.
Cette symbiose entre l'homme et l'environnement qui le façonne irrémédiablement, loin de l'essentialisme et de l'abstsraction occidentale, est encore plus marquée dans le chef d'oeuvre de Fuminori Nakamura "Pickpocket". La légèreté de l'écriture, comme une écume glissant sur la ligne d'horizon, est l'indispensable délicatesse de l'auteur pour nous rendre supportable la mélancolie de ce superbe récit dans lequel il est question d'un voleur de portefeuille, de tours du destin, de yakuzas, du hasard, de la nécessité, des fils que l'on a eu et de ceux que l'on aura pas, et de bien d'autres choses encore parmi lesquelles la manière d'aller au-devant de la mort comme une issue vers tous les possibles.
Car il n'est pas nécessaire de faire lourd pour être profond. L'écriture de Banana Yoshimoto est comme une brise dans les saules et les peupliers, un frétillement de vie au coeur d'un été qui prolonge les journées jusqu'à l'infini. Ou comment raconter une affaire de famille sans se croire obligé de rendre grâce à papa Freud à toutes les pages. Mais quel est donc le secret de cette 98ème nouvelle qui pousse au suicide tous les traducteurs ?
Il aurait également pu y avoir dans la valise les bouquins de Michael Ferrier (Tokyo, petits portraits de l'aube ; Sympathie pour le fantôme), mais ils ont déjà été lus et relus. On ne saurait trop conseiller ces ouvrages d'un auteur né en Alsace aux origines indiennes et mauriciennes et qui enseigne à Tokyo. Encore un qui trouve curieux que l'homme et ses deux jambes se revendique "de souche", tel un arbre mort. Mais par contre, il y a bien sous les T-shirts et les bermudas, l'inévitable Cendrars, parce qu'on voyage toujours en bonne compagnie avec quelqu'un qui est partout chez lui.
Sinon, depuis le train, on peut aussi jeter un coup d'oeil sur le paysage, pour vérifier que les montagnes jouent aux notes de musique sur les lignes électriques. On souhaiterait que la musique, comme le voyage, ne s'arrête jamais.
18:12 Publié dans EN PHOTOS, FRAGMENTS | Lien permanent | Commentaires (0)
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