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10/03/2008

La théorie c'est pratique

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Le paradoxe pourrait tenir lieu de fil conducteur au tableau du Caravage : voici un dieu au corps viril rendu de manière très réaliste dont le visage a des contours peu affinés et des traits féminins, l'abondance de mets et de vin, le nectar des dieux, ne suscite que lassitude ou ennui, la matéralité des draps et fruits s'oppose à la lumière oblique, toute spirituelle, qui traverse le tableau. L'ambigüité résultant de ce tableau n'est qu'une traduction de la tradition occidentale de raisonnement par oppositions binaires. Issue de la pensée platonicienne (le faux monde matériel opposé au vrai monde des idées) cette tradition a prospéré avec la pensée chrétienne (vie terrestre et vie céleste, corps pêcheur et esprit salvateur, etc.) et trouve donc à la renaissance une traduction picturale qui se déploiera ensuite chez les épigones du Caravage et au-delà.

Cette méthodique division duale du monde n'est pourtant pas un mode de pensée universel, comme en témoigne le tableau de Chen Hongshou, contemporain du Caravage, qui s'intitule "Parlant musique".

 

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 Ici le corps n'est que suggéré. Le drapé, contrairement à celui du Caravage, n'a rien de réaliste. Constitué de volutes improbables il rend compte de l'état intérieur du personnage abandonné à sa concentration. On l'aura compris, ici pas de division ou distinction : la représentation extérieure rend compte de la réalité intérieure. Le monde n'est pas deux, il est un.

La conception duale conduit à des raisonnements par opposition qui structurent nos modes de pensée de manière très profonde. Ainsi, l'inné et l'acquis, la raison et l'émotion, le fond et la forme, le corps et l'esprit, qui donneront les chirurgiens d'un côté et les psys de l'autre garantissant ainsi que la médecine ne s'intéresse que rarement à la totalité de l'individu,  etc.

Dans le champ du travail et de la formation, cette opposition produit la conception et l'exécution, les fonctions supports et les fonctions opérationnelles, la formation et le travail, la théorie et la pratique.

Ce mode de raisonnement est bien évidemment très réducteur : on peut se former en travaillant, l'exécutant conçoit des manières de faire, les fonctions supports sont opérationnelles (heureusement pour elles), le travail est formateur et la théorie se nourrit de pratiques, ne serait-ce que par l'expérimentation, alors que la pratique s'appuie le plus souvent sur une conceptualisation préalable. En d'autres termes, le savoir conceptuel est indispensable à l'action, laquelle sert de base à la production de savoir conceptuel. 

Voyons des continuités et des cycles là où d'ordinaire on ne perçoit que de la distinction et de la séparation. Comment prévoir la météo sans la théorie du chaos ? par le savoir empirique ? mais il constitue lui-même une conceptualisation de multiples, voire ancestrales, observations dont on a tiré des lois générales.

Entre théorie et pratique, surtout si l'on veut travailler sur la compétence, il s'agit d'avantage d'articuler et d'associer que de diviser et d'opposer.

(Note : la comparaison entre le tableau du Caravage et celui de Chen Hongshou est empruntée à Jean-François Billeter et tirée de son ouvrage "L'art chinois de l'écriture", Seuil - Skira). 

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